Tu n'en peux plus de traîner ce fantôme avec toi.
Il te ronge, te ravage l'intérieur, prolifère en toi comme un cancer.
S'enroule autour de chacun de tes gestes les paralysant comme par plaisir.
Et même on dirait qu'il cherche à t'engrosser, afin de te faire porter une espèce de monstre qui prendra sa relève s'il décide de te quitter.
Oh, il peut toujours y croire, mais toi, tu n'en veux plus.
Tu veux l'éliminer, l'éradiquer de ta vie, de ton corps, de ton âme, de ton esprit...
Tu veux lui rendre sa monnaie, l'envoyer où toi tu as décidé de l'expédier de gré ou de force.
Et ce sera sans aucun doute de force.
Car il est orgueilleux le bougre !
Il se complait à t'occasionner toutes ces misères et à grossir sur ton malheur.
A se construire et se reconstruire sur ton désespoir.
Il se nourrit de toi, de tes phantasmes, de tes rêves, de tes amours, de tes illusions, de ta ruine.
Il est ton meilleur ennemi, toujours prêt à te faire ployer à te rompre, à te faire tomber un genou à terre.
Un genou.
A TAIRE...
Et toi tu as appris à vivre avec lui.
Tu le pares de toutes les qualités les plus sublimes.
Il est devenu ta religion, ton dieu, ta foi, ton idéal, ton triomphe sur la mort, ta revanche sur l'éternité.
L'autel de ton propre sacrifice.
Le bûcher de ta propre immolation.
Il est devenu ton père, ta mère, ta fratrie, tes amis, ton monde, ton univers.
Il est devenu ta destinée, ton origine, le ventre universel qui t'a choyé(e) dès avant ta naissance.
Il est devenu ta solitude et ta proximité avec les tous êtres, une espèce de vase communiquant et transcendant...
Il se peut même qu'un jour il devienne ton enfant.
Ou tout autre compagnie.
Car il est fantôme.
Il peut tout aussi bien devenir ton chat, ton chien, ton canari, ou la mouche qui viendra se poser sur ta soupe lorsque tu seras grabataire.
Alors voilà je vais te donner la recette pour t'en débarrasser,
ne me remercie pas,
applique–la au pied de la lettre :
Pour se débarrasser d'un fantôme
Il faut prendre inspiration
et conseil
Surtout et en premier lieu
l'identifier
Le traquer en soi
Autour de soi
en–dessous et au–dessus
de soi.
Agir méthodiquement
car il est très malin
Procéder en silence
Et ne point révéler son intention
A quiconque
S'approcher de lui
par surprise
D'un air détaché
Le regarder
L'aimer passionnément
Le rechercher encore
pour l'étreindre à l'étouffer
L'adorer
à en faire brûler d'envie
tous les amants du monde
Se flageller d'amour
sous son regard ravi
Le prendre par la main
En lui laissant croire
Qu'on le suivra
De toute éternité
Et puis l'embrasser
oui l'embrasser
comme aucun être ne l'a jamais été
Le coller en ombres
et lumières
Dans tous les souvenirs
Du monde
Comprendre par là
Ce qui le sous–tend
Ce qui le concrétise
Ce qui le réalise
par et en ce baiser
Baiser de mort
Baiser de la mort
Baiser de sa mort
Baiser de ta résurrection
Car en ce baiser
tu vas connaître
sa vérité
Tu vas reconnaître
Que jamais tu n'as eu pour lui
cette importance dont tu le revêts
Jamais il ne t'a pris(e) pour rien
Si ce n'est l'objet
De sa propre existence
Toi... ce miroir magique
qui lui renvoyait cette si belle image
puisée dans ton imagination
Jamais il ne te vénèrera
Jamais tu ne deviendras
Son idole
Parce qu'il est sa propre idole
Son amour
Parce qu'il pirate l'amour
Sa passion
Parce qu'il est illusion
Sa vie
Parce que l'illusion
doit mourir
Son âme
parce que son âme est la tienne
vidé de son essence
Son passé
Parce que le temps
n'a de prise que sur toi
Son présent
Parce qu'il vit
Dans tes souvenirs
Son avenir
Parce qu'il est condamné
Par avance
Et encore moins
Son amour
Puisque c'est le manque
qui a créé cette nécessité
Pour te permettre de lui survivre
Jamais il ne te portera en lui
Comme tu l'as porté en toi
Jamais il ne te consacrera
un instant
si infime soit–il
Parce que l'instant
lui est inconnu
comme il est lui–même
inconnu à tous les instants
Comme l'amour
lui échappe
depuis ce jour
où il a été "homme"
et où il a abandonné
Un coeur innocent.
Sissi, la Vraie
Alias... Melina Nilles!