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La salle d'attente

Elle était arrivée aux environs de huit heures trente. Il n'y avait pas grand–monde et elle s'enquit de pointer. Il faut dire qu'elle s'était aventurée pour demander le fameux ticket sans lequel rien ne saurait être possible.

Ces messieurs–dames les bénévoles étaient bien gentils. Ils se pressaient si nombreux certaines fois, que nul ne pouvait les identifier à moins de les connaître.

La fréquentation du lieu est si diversifiée qu'il serait plus aisé de prendre pour point de comparaison celle d'un supermarché, avec quelques cas exceptionnels. Les gens du matin, du tout début de la matinée, sont des gens vraiment comme vous et elle, mais tout de même plutôt comme vous que comme elle ! La preuve? C'est qu'elle est la seule à gribouiller sur son cahier, tandis que vous attendez de voir ce qui s'ensuit!

...Pour le moment, ils attendaient d'être appelés dans l'ordre d'arrivée afin d'obtenir le numéro magique.
La plupart de ces gens avaient sympathisé, un peu comme en un lieu de rendez–vous, une salle d'attente avec tout ce que cela implique. Les gens du matin, du tout début de la matinée, étaient moins bruyants que les autres. Moins nombreux aussi, et plus "polissés"...plus présentables, plus frais, puisque la journée commençait à peine!
Les livraisons arrivaient sous leurs yeux, comme de coutume.

Les bénévoles sont courtois. Certains prennent à coeur d'être attentifs à tous les besoins. Pour d'autres, c'est la routine et l'on peut lire la lassitude sur leur visage sinon parfois une réaction acerbe...
Normal, servir cette cause perdue d'avance n'est–il pas désespérant?


Du monde arriva et un bébé se fit entendre. Le ton monta. La jeune maman mit son enfant au sein. Chacune y alla de son commentaire. Toutes celles qui avaient vécu cette expérience unique palpitaient d'émotions comme la fleur se souvenant du papillon: ce charmant tableau gommait l'âpreté de la "réalitude".
Le silence retomba tel un manteau de neige, et plus loin quelques voix s'élevèrent à nouveau pour se taire, se relayer, grossir, et puis quelques rires...
Il se trouvait ici, non seulement des personnes sans emploi, mais aussi des malades, des accidentés, des travailleurs pauvres.
Tout ce petit monde attendait inlassablement l'aumône salvatrice et notre amie pensa qu'un bon coup de jeune sur les actions caritatives n'attireraient que bénéfices et progrès dans les sociétés autant que dans les mentalités.
Mais comment atteindre un tel objectif ?
Inutile de parler de réforme, elle réservait cet euphémisme aux experts ès politique qui professent à pourrir, à détruire, à calomnier, à s'enrichir, à bafrer, à tour de rôle comme de vulgaires comédiens des époques les plus corrompues de l'Humanité... réforme: euphémisme ou pléonasme ?
Bref, elle considérait qu'il fallait éraser la base générale de données afin de reconstruire le pays avec amplitude !
Sachant que les nantis n'abandonneraient jamais leurs privilèges et que le simulacre de partage de la brioche du roi semblait calmer le gros de la masse... Cette masse qui se précipitait de plus en plus tôt pour mendier en toute légalité, et à laquelle elle appartenait à son corps défendant et, sans aucun doute, provisoirement !
Ses scrupules pourtant masquaient une hypocrisie manifeste, ne vous y trompez pas: ils s'effaçaient à l'évocation du gâchis innommable auquel nos sociétés se livrent, ou même s'adonnent ! Jeu barbare et cruel. Le plus grand acte de terrorisme international. La manipulation de milliards d'estomacs humains: le plus odieux des chantages, la plus énorme prise d'otages qui soit... que chacun semble, par mystère, ignorer... pour ne pas dire approuver !

Elle se tenait à présent debout contre le radiateur.
Elle suffoquait, tantôt cuisant, tantôt mijotant, dans cette station franchement pénible, sous le regard scruptateur d'un public à l'affût.
La chaleur avait asséché son stylo. Mais la source, loin d'être tarie, s'enflait encore dans les abysses d'un être avide de se donner.
Ce n'était pas encore la cohue, et si elle tenait le coup, elle conserverait cette place pendant que les vingt-cinq personnes qui la précédaient s'égrèneraient sous ses yeux apparemment accaparés à d'autres affaires !

La semaine passa sans limitation de vitesse et la bousculade du vendredi s'imposa implacablement !
Ici aussi des clans se forment: tout est codifié. Pour les électrons libres, le désir d'appartenance s'oppose en se conjuguant à l'esprit d'indépendance, de singularité, d'identité, de dignité, de clarté...

Fidèle au poste, la jeune maman souriait invariablement à la femme d'encre, sans jamais lui adresser la parole: quoi de plus effrayant qu'un individu armé jusqu'aux dents d'une plume et d'un cahier, qui écrit des secrets au nez et à la barbe de tous...
N'avez-vous point déjà remarqué ce genre d'ensorceleur subversif et sournois ? Ne se targue-il pas si facilement de n'être pas à vendre ?!
Il prétend que c'est un vrai bonheur de pouvoir prendre le temps de choisir ses mots, son genre, que livrer des faits ou même des pensées ordinaires, voire de les vendre sont du plus mauvais goût! Qu'il est de meilleure manière d'écrire dans sa tête, qu'il y a là un laboratoire expérimental, un champ de mines où l'on peut faire sauter des rocs d'illusions afin d'y découvrir le joyau extrêmement pur du dépouillement de l'égo ! Et que la Poésie est un genre sacré à réserver, à polir, à magnifier! Et que, depuis la naissance de l'écriture et même de toute forme d'Art, c'est la Postérité qui a toujours reconnu les talents !...


Une petite fille s'agita à côté de la femme d'encre qui lui offrit réflexivement de quoi s'épancher en couleurs. La joie se balançait dans le regard sombre de l'enfant. La joue rosissante. La bouche esquissant un gloussement de délice.

Dans ce genre d'endroit, on vous suspecte d'autant plus que vous n'êtes pas endetté pour abus de consommation.
On vous prend pour un profiteur.
Vous n'avez pas de crédit immobilier ? Bizarre !
Le monde marcherait-il sur la tête ?
Les vrais pauvres sont-ils vraiment là où on les attend avec tambours et trompettes ?
Honteux du cynisme énorme et racoleur déployé en leur nom, ils se cachent, se terrent même. Ils ne se dévoilent pas au premier prétexte venu. Au-delà de leur ration alimentaire et d'un toit, ce qui leur importe est d'exister dans le regard de l'autre, et pourquoi pas dans son coeur, dans sa mémoire, dans sa vie.
Lorsqu'on rencontre un vrai pauvre, on ne l'oublie pas. Jamais.
Il devient irremplaçable. Une partie de soi, en quelque sorte. Une objection à notre bonne conscience.
Et la certitude que la véritable misère ne prend pas racine dans un estomac vi
de...

Alors, la femme d'encre, inspirée par un élan incompréhensible s'ébranla, comme indignée par une pensée dérangeante. Et en passant devant la porte du réfectoire pour sortir, elle aperçut des bénévoles qui se partageaient le meilleur du butin.

in Nouvelles du ciel et de la terre http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre18454.html

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